Périples et récits

J11 - Rémy

Texte, voix, mixage et choix des musiques : Anne-Marie André

Catherine Braslavsky et Joseph Rowe : Prière cathare - De Jérusalem à Cordoue
ARCO : Danças Ocultas, LuzAzul
Anouar Brahem : Le Pas Du Chat Noir - Toi Qui Sait
Dave DK - Coolette - Val Maira
La Bohème de Charles Aznavour et Jacques Plante : Guido Monge - piano solo


"Rémy"


14 septembre 2019 !
Le Pont de Valentré signe la sortie de Cahors, sur le chemin de Compostelle. Devant nous un sentier qui grimpe sans répit jusqu’à surplomber cette riche et belle cité médiévale.

Josette de Belgique et Robert du Texas me donnent rendez-vous ce soir à Trigodina. Nous nous sommes rencontrée en 2018 sur le chemin. Cette année, partis ensemble, nous choisissons les étapes et les gîtes du lendemain. Et pour ce qui est… de marcher, je suis une solitaire. J’aime ce dialogue silencieux entre celle qui marche, celle qui rêve, qui s’envole, celle qui se perd dans les paysages intérieurs traversés… par ceux qu’elle découvre, au fil du chemin.

Ce matin du 14 septembre, le ciel est bas, gris, et pèse sur mes épaules. Il y a… de la tristesse dans l’air, de celle qu’on ne s’explique pas. De la nostalgie. Mon sac semble avoir pris du poids. Et les questions défilent. Pesantes. Mais pourquoi donc suis-je ici ? Qu’ai-je donc encore à me prouver ? Les réponses se taisent. Et… c’est tant mieux.

Deux heures plus tard, je dépose le poids de mon sac. M’assieds aux abords d’une bâtisse inhabitée, de la féraille rouillée abandonnée dans le jardin en dit long sur ce lieu.
Quant à moi, impossible de déposer le poids du ciel. Ni… d’ allumer la lumière du jour. Il fait sombre en moi.

Le chemin… c’est cela aussi. Se heurter aux prisons intérieures, laisser tourner à l’infini les mélopées. Comme jadis nos disques rayés.

Les pas s’enchaînent. En mode automatique je foule les cailloux blancs d’un large chemin sans poésie. Le champ intérieur est libre. Un autre sentier se fend en moi. Mon esprit s’y glisse. Les défenses se relâchent. Gagnés par un rythme distinct, mes pas intérieurs m’entraînent à l’écart. D’un soupir, j’aquiesse. Me voilà ici et… ailleurs.
Un peu plus légère, j’arrive au prochain village. Une déviation est proposée avec des mises en garde. Elle n’est pas indiquée sur mon gps. Cette incertitude me ramène sur terre. Je l’avoue, me voilà un peu inquiète.

C’est là qu’intervient une perle du chemin. Un pèlerin arrive, décontracté et joyeux. Celui-là est dans son bon jour. C’est Jacques. Son sourire, sa gentillesse. Quoi de plus beau. De plus précieux. Il me raconte la légende pèlerine de cette déviation. Encore une histoire de villageois qui faisaient passer les pèlerins devant chez eux pour en tirer le meilleur profit. Légendes ou faits véridiques ? La joie est revenue.

Jacques est déjà loin devant. Je suis à la traîne. Un peu plus loin un pèlerin me dépasse, s’arrête et revient sur ses pas. Avec un bel accent allemand il me demande si tout va bien. Si j’ai besoin d’aide. Suis-je transparente ou est-ce l’effet du chemin ? J’ai beau avoir répondu que tout va bien… je n’en mène pas large. J’aimerais tellement marcher avec Josette et Robert, moi la forte , la solitaire, qui va seule à la rencontre de ses démons.

Le gris du ciel efface les couleurs et les nuances. Je traverse la grisaille d’un jour de septembre, d’un jour de ma vie.

Quand je relève mon regard, oh bonheur ! J’aperçois à quelques centaines de mètres les silhouettes de mes amis pèlerins. Ils avancent côte à côte. Ne m’ont pas vue. Je fais une petite pause et remercie pour cette étoile sur mon chemin. De les savoir là, devant moi, me suffit.

Nos pas se rejoignent peu avant d’arriver au gîte. Le mystère de la joie de ces retrouvailles demeure entier. Elle est si forte. Comme si nous nous étions perdus de vue depuis des années. Nous voici à Trigodina. Jacques et ses compagnons nous suivent de près. C’est un peu tôt pour annoncer notre arrivée. Pourtant, Jacques s’aventure dans la cour, un chien aboie. La porte s’ouvre. Un homme tout chiffonné, la chevelure en bataille nous regarde de travers. « Ah mince, je venais de commencer ma sieste. Je n’ouvre qu’à trois heures ». Et moi spontanément : « Ah si on m’avait dit qu’on arrivait chez un ours, j’aurais apporté un pot de miel».

Le ton est donné. Rémy renonce à sa sieste, nous laisse entrer dans la grande cuisine, nous offre à boire, nous montre les bières et la machine à café puis, les chambres. Après une bonne douche qui remet les idées en places, je retrouve les autres pèlerins. Sous deux arbres géants, une table ronde au généreux diamètre. Le soleil et un ciel bleu intense ont remis de la couleur dans cette journée. Nous sommes si bien. De quoi peuvent bien parler des pèlerins autour d’une table, dans un gîte ? Du chemin cela va de soi.

Rémy vit avec sa famille juste à côté, sur cette colline perdue. Tout en préparant le repas il vient s’assurer que les bières ne manquent pas, et surtout que le courant passe entre nous. Il n’est pas déçu. Et … lui seul le sait. Il nous prépare une surprise.

Nous sommes une dizaine de pèlerins à partager le repas. La nuit est tombée, le silence de ce paysage retiré, me touche. Rémy revient vers nous. Une poignée de feuilles sous les bras. Il se dirige vers un vieux piano qui trône dans un coin sombre de la pièce. Je l’avais à peine remarqué. Surpris, nous nous taisons. Lui, le bucheron, l’agriculteur, le ferblantier, le charpentier ouvre le piano, installe les partitions et sous nos yeux ébahis, pose les premières notes de…. « La Bohème », nos cœurs chavirent. D’autres morceaux suivent, soulevant la poussière de nos nostalgies.

L’émotion est palpable. Je sors de la cuisine ouverte sur le jardin. L’écho de ces mélodies rejoint l’immensité du mystère de la présence. Après cette petite éternité, Rémy nous averti : « C’est la dernière ». Puis, il ferme le piano, échange quelques mots avec nous et s’en va retrouver les siens. Que la vie est belle ! Je suis heureuse. Si heureuse d’être là. De ce vécu unique. Inoubliable. Et pourtant le chemin pour y arriver fut difficile.

Le lendemain nous prenons congé les uns des autres, de notre hôte qui nous a laissé entrevoir quelque chose de la beauté invisible de l’être. Il m’a donné une leçon essentielle. Celle d’oser offrir simplement un peu de ses talents, sans fausse modestie et sans s’excuser de ne pas être dans la perfection. Si ce blog existe aujourd’hui c’est aussi grâce à cette liberté-là.

Merci Rémy. Pour toi. Pour cette posture entre terre et ciel, rude et droite, tendre et rieuse dont tu as le secret. Toi, l’ours au cœur d’or.

Anne-Marie André


Les polyphonies occitanes transmettent l'amour et l'attachement pour cette région. Je vibre tellement à ces musiques. Et ne résiste pas à partager un chant dédié à l'amour.

Vox Bigerri - Be n'èi ua gran tristessa
Ensemble de musique vocale originaire de Tarbes et dédié au chant polyphonique traditionnel principalement des Pyrénées et d'Occitanie.


Be n’èi ua grand tristessa

J’ai une grande tristesse
J’ai une grande tristesse, berger
Elle s’en est allée,
Moi j’en ai le cœur malade.

Par toute la montagne
Par toute la montagne, berger.
La neige n’est aussi blanche et
Les oiseaux ont peur de moi.

Mon Dieu, quelle souffrance.
Mon Dieu, quelle souffrance berger
Tant la nuit comme le jour
Seul comme un fou

Je ne la reverrai plus
Je ne la reverrai plus, berger
De toute ma vie
Je porterai son deuil
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