En chemin... Marcher en confinement

J8 - Hurlement

Ce matin
Surprise au réveil par un mal être
Sans parole
Mon élan… est suspendu
A une tempête d’émotions.

Mes sanglots se contiennent
Mes peurs se taisent
Mon cœur se serre
C’est porte close là-dedans.

Dans ma cuisine la porte est ouverte.
Force de l’habitude
Je décline les gestes du matin
Me coule un café
Déplie le journal.

Les nouvelles sont décidément mauvaises
Corona a bouclé, encerclé la vie
Le monde fermé se retient de respirer

Où donc sont les pages
Des nouvelles qu’on ne délivre pas ?

Ah mais oui,
Les oubliés, exploités, décalés, déboussolés
Sans-abris, sans pays
Sans papiers, sans espoirs
Peuvent attendre.

D’ailleurs,
Les nouvelles du monde ne sont pas nouvelles
Fidèles à elles-mêmes
Copiées collées sur la toile de l’indifférence
Elles passent et repassent dans nos mémoires endormies.

Mon café est froid.
Comment digérer ce présent-là ?
Traverser ma tristesse ?

La grisaille du jour en est l’écho silencieux.
Pourtant,
Il y a quelque chose dans l’air ce matin…
Comme un avis de tempête qui passerait au rouge.

Mue par un ressort invisible
Je me redresse, mes bras se tendent en arrière
Comme une paire d’ailes prêtes à l’envol

Incapable de le retenir,
M’entraînant dans le tourbillon d’une vague déchaînée
Trouant les murs
Soulevant le plafond…
Interminable
Un hurlement surgit de mes profondeurs
Se fracasse contre un mur de silence.

Comme c’est puissant,
Comme c’est vivant,
Comme c’est épuisant !

Mes yeux se ferment.
Faisant écho à cette échappée sonore
Le voyage me saisit
M’entraîne au-delà des frontières closes
A la vitesse fulgurante de l’évocation.

Captive du concert des déferlantes
Je plonge, tourmentée et libre
Jamais rassurée et pourtant paisible
Chahutée jusqu’au plus profond de mon fragile équilibre

Les vagues me crachent sur le sable humide d’une plage déserte,
La brume qui m’enserre éclate

Dessiné dans le sable, un sentier
Se déroule sous mes yeux clos,
Egaré à la limite du ciel,
L’océan s’étale à l’infini
Un soleil éclatant s’y abreuve

Comme une voile gonflée
Je me soulève
La rudesse des éléments
Me remet debout.
Me voici de retour en terre bretonne.

La plage est un tapis, la mer un miroir.
Je me déchausse
Et me déploie en danse
Les frappes de mes pieds
Battent le sable
Le ressac de la mer la mesure
La musique résonne dans mes ossatures
S’infiltre dans mes creux, mes failles.
Me possède.

Le tableau que je traverse
Absorbe la lumière
S’étire en mon être.
Je respire profondément
Cet air iodé que fredonne le vent.

J’ouvre les yeux
Ma cuisine contient tout un monde,
Un île, un chemin, une flaque, le vent, les sables…

Sur mes mains
Un petit goût de sel
Au pli de mes yeux
Un peu de mousse marine.

Dans le jardin, un rossignol chante.
Mon cri est devenu voyage
Il a dit les mots rebelles
Que mes mots sont incapables d’exprimer

Dans l’immobilité de cette grise matinée
Mon sourire éclate
S’écoule
En cascade rieuse
Sur mon visage, mon corps.

Un autre voyage me prend par la main
Celui du sourire, du rire.

Dans ma cuisine
Je me coule un café
Plie le journal et fais la paix avec moi-même.


"Hurlement" Texte, voix et mixage : Anne-Marie André
Extraits de musiques : "Compassion" Soname, "Nuvole rosso" Cirque Eloize
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